Les thématiques abordées
Le thème sociétal essentiel qui irrigue mes réflexions de mise en scène depuis ma première création est le droit à la différence.
Je veux raconter la difficulté d’exister autrement qu’enfermé dans le regard détracteur de l’autre et défendre le droit à l’altérité.
Le personnage de Québec dans Le boxeur, le personnage de Louis dans Le sourire de la morte, de L’enfant dans Une chenille dans le coeur ou encore Kala, Louis, Francky et Mano dans Meute / Une légende sont jugés sur leur apparence. Leur trajectoire est tragique : la prison ou la mort. Ils portent en eux une violence… sans doute, en partie, celle du regard des autres. La vie de ces anti-héros est un défi à la société en même temps qu’un défi face à eux-mêmes qui se résume en un mot : l’acceptation. S’accepter, lutter pour exister tel que l’on est, composer avec la perception qu’ont les autres de soi, c’est une problématique qui me semble universelle.
Mon travail de mise en scène est aussi grandement empreint de la question du choix, et au delà, de la responsabilité de nos actes: par les décisions que nous prenons qui construisent nos existences, assumons-nous ou subissons-nous notre vie ?
Dans mes spectacles, j’explore aussi les arcanes de la famille. J’interroge les liens de filiation, le rapport aux parents, à l’éducation. Il est question de transmission. Quel héritage ont laissé nos parents et quel héritage laisserons-nous à notre tour ?
Je cherche aussi de plus en plus le lien avec l’actualité.
Dans Une chenille dans le coeur réside en filigrane une critique du système capitaliste et de ses dérives, aussi bien sur le plan économique qu’écologique.
Dans Meute / Une légende, qui est une commande faite à l’auteure Caroline Stella, j’ouvre ma réflexion à des thématiques plus politiques : la radicalisation de la pensée et la montée de la violence qui en résulte. À l’image du Boxeur qui va laisser exulter sa colère en répondant par les poings au mépris d’une jeune femme de la haute société, la Meute va avoir recours à une violence extrême. N’ont-ils plus que ça, la haine ? Sont-ils les enfants perdus des banlieues tristes ?
Dans Candide, je traite particulièrement la problématique du fanatisme religieux et la question de l’argent, en donnant à voir l’avidité de l’homme dans une société basée sur l’appât du gain.
Je veux aussi interroger la notion de liberté, en défendant, particulièrement, la liberté d’expression. Le théâtre et l’art, en général, doit être l’endroit où chacun peut réfléchir par lui-même, où chacun peut prendre la parole.
L'esthétique utilisée
Mon travail prend sa source dans la réalité du monde qui l’entoure mais le traitement s’en éloigne. Je développe mes formes artistiques dans des univers invraisemblables, fantastiques, en travaillant autour du rêve et du conte.
En passant par la forme fantastique, les possibles s’ouvrent, l’imaginaire se déploie. On peut alors créer une distorsion du temps et de l’espace, en générant par là une sensation de perte et en déréalisant les corps et les autres composantes scéniques.
"Les effets de fantastique peuvent être de deux types : d’une part, un sur-éblouissement de ce que nous objectivons, donnant l’éclat insupportable de ce que nous ne pensions pas être (le monstre) ; d’autre part, une mise en abyme des ombres, l’ultra naturel qui sous-tend l’en-deçà de la figure humaine, ce que nous n’imaginions pas voir."
Amos Fergombé et Arnaud Huftier, Otrante, Théâtre et Fantastique
La musique, les sons, représentent des outils primordiaux de mon travail de metteure en scène. Je m’appuie d’ailleurs toujours sur la présence sur scène du ou des musiciens pour orchestrer les histoires en direct. La musique devient alors un personnage à elle seule, à la fois moteur dramaturgique et tributaire des rebondissements.
La vidéo est un autre outil important. Elle est un moyen essentiel de créer un univers fantastique. Le travail de la vidéo s’opère sur des supports divers et inattendus, ce qui amène de la magie et de la surprise. C’est aussi le soutien d’une esthétique graphique.
Mes scénographies se veulent abstraites. Elles font référence à des éléments réalistes et sont basées sur des symboliques fortes. Le décor est alors une suggestion de la réalité, qui doit plonger le spectateur dans un monde rêvé. C'est un traitement par l’irréel pour mieux montrer le vrai, la réalité du monde.
Mes spectacles jouent aussi avec l’apport de codes couleurs. Les décors, les lumières, les costumes sont créés en concertation avec l'équipe artistique, en s’appuyant sur la symbolique des couleurs, ce qui amène une cohérence et une précision graphique de l’esthétique globale.
Enfin, la collaboration étroite avec Franck Corcoy, chorégraphe et interprète de danse urbaine, suscite de plus en plus d’incursions chorégraphiées dans mon approche artistique. Je cherche à poétiser les corps en présence.
Le travail sur l'interprétation
Mon approche de l’interprétation repose sur la jubilation de jouer à jouer. Que cette jubilation d’interprétation exprime l’urgence de se faire entendre, la nécessité de se faire comprendre. Tout en maintenant le fil de l’histoire tendu, elle recherche la croyance immédiate chez ses interprètes, à l’image de jeux d’enfants dans une cours d’école, avec pour arme le plaisir de jouer et l’humour du langage.
Je développe, en parallèle, un travail précis sur la langue, sur la musicalité du texte, sur les différents rythmes et les différents mouvements de l’écriture. La parole est considérée comme une partition, avec ses vélocités d’échanges, ses envolées d’émotions où le temps, devenu relatif, se dilate et se contracte.
Mariana Lézin