"La boxe c’est l’égalité. Sur le ring, le rang, l’âge, la couleur de la peau et la richesse n’ont plus cours. Quand on tourne autour de son adversaire, en cherchant ses points forts et ses points faibles, on ne pense pas à la couleur de sa peau ni à son statut social."
Nelson Mandela
Round après round, un homme nommé Québec raconte son histoire. L’histoire d’un gros, d’un grand et gros, réduit, enfermé depuis tout petit dans ce qu’il représente aux yeux des autres. "Combien de fois, mes oncles, les dimanches midi de retour d’église de dîners de grand-mère ou de parties de carte, m’ont dit "Tu vas devenir boxeur ! Hey, grand et gros comme ça pour ton âge… T’es bâti comme un cheval…" La sentence familiale était tombée, irrévocable, tranchée dans les limites de ses propres ambitions " -Tu vas devenir boxeur."
Victime de violences à l’école, de railleries de la part des filles, il refoule tout acte d’agressivité physique et enfouit sa colère pour ne pas devenir ce qu’il rejette, jusqu’au soir où il lit encore le mépris cette fois affiché sur le visage d’une belle femme croisée sur une place de Paris. "Une charge foudroyante que je pensais avoir tuée déjà ou au moins contenue à jamais dans le bon citoyen que j’ai donc été toutes ces années-là, mais on ne contient pas l’éclair, pas un soir d’orage." C’est le regard dédaigneux de trop et il explose, l’agresse et la laisse sur le pavé "l’oiseau plombé touche son bec cassé, des larmes de : "par pitié monsieur, arrêtez !" lui beurrent la face de mascara, le rouge de son sang se mêle à son rouge à lèvres, à celui de ses ongles, mais l’ours enragé se jette sur sa proie pour dévorer ce qui lui reste de beauté." Ensuite, il est incarcéré en prison où il doit faire face à une microsociété plus violente encore. Il finit par devenir boxeur.
Le spectacle est construit comme un flashback. Cependant, je ne veux pas situer le récit dans l’espace ou dans le temps. Pour moi, il est à la fois sur un ring, en prison, sur une place de Paris, déjà mort. Au purgatoire ? Face à lui-même. Devant son paradoxe, celui du corps et de la parole, accompagné de ses ratés, de ses désillusions, de ses souffrances, de sa différence.
Sur le plateau, trois interprètes mêlent parole, musique et danse dans un travail choral. J’ai choisi de représenter deux Québec. L’image et la parole, le corps et l’esprit, la danse et le théâtre. L’homme est scindé en deux entités, un vaste parcours jusqu’à la symbiose, un moyen pour moi de poser la question de la représentation dans la vie comme sur scène. La perception d’autrui est-elle juste ? Qui est Québec ? Comment se voit-il ? Doit-il être réduit à une seule image ?
Je ne veux pas d’artifice mais plutôt rechercher l’intimité et sa représentation. J’ai travaillé sur l’évocation onirique des lieux qui le traversent et leurs possibles perceptions. Ce ne sont que les réminiscences du passé de Québec qu’on ne voit qu’à travers le filtre de ses souvenirs. Rien n’est objectif, on est dans sa tête, à travers ses yeux, un mobile, une sorte de boîte de Pandore dans laquelle l’image se tapisse, une boîte qui se déroule et s’entremêle sur elle-même dans le sens de la vie. Reflet de la prison, reflet du parloir, dernier lien avec l’extérieur et de l’autre côté du miroir il y a l’autre, ou plutôt lui, cette image qu’il lui faut accepter.